28 août 2021
6
28
/08
/août
/2021
15:41
L'Echappée Belle est un concentré de cailloux, de lacs, de paysages à couper le souffle mais aussi de bonheur.
Depuis autant de temps qu'elle existe, c'est-à-dire 9 ans, j'ai toujours regardé d'un œil étrange cet ULTRA. L'échappée belle m'attirait autant qu'elle me repoussait.
Elle m'a toujours attiré par la beauté époustouflante de ses paysages, mais aussi pour tout ce qu'elle représente. En effet, ce ne sont pas toutes les courses qui proposent de traverser tout un massif montagneux par son GR... et quel GR !!
Et puis elle me repoussait car il n'y a que celui qui ne connaît pas Belledonne qui peut prétendre qu'il va arriver au bout d'un tel défi. Face à la montagne chacun doit rester humble, mais face à Belledonne peut-être encore plus !? Tu as le droit d'avoir peur !
Il fallait donc s'y lancer un jour pour me rendre compte par moi-même de ce que tout le monde en dit. A savoir un ULTRA rugueux, authentique, hors du commun, considéré comme l'un des plus durs au monde.
JEUDI 19 août 2021
Nous avons loué une maison à Saint Nazaire-les-Eymes, à environ 30' de Vizille, point de départ de notre aventure. Toute mon assistance se réunit ici dans ce superbe endroit, rural, calme, avec vue sur les montagnes et notamment de belledonne. Les avoir en face de nous pose le décor.
Il règne entre nous une saine ambiance avec tout d'abord la joie de se retrouver, mais aussi avec un mélange d'impatience, d'excitation, et bien entendu de doutes face aux aléas qui peuvent subvenir et à ce que la montagne va bien vouloir nous imposer, demain.
Peut-être avez-vous déjà remarqué que j'emploie très peu le "je" à la place du "nous". Ceci aurait pu être une conclusion à ce récit, mais d'emblée je considère cette Échappée Belle comme NOTRE aventure, celle du groupe, plutôt que la mienne seule. Tout simplement parce que sans eux, sur cette épreuve, je ne suis rien du tout. Pire que ça, je n'existerais pas car je ne pourrais même pas prendre le départ.
Ces personnes sont, entre autres, celles qui m'ont aidé, écouté, compris, ... ces derniers mois. Et croyez-moi, elles ont été à la hauteur !
Avec mes problèmes de santé, il faut bien comprendre que je ne peux pas me ravitailler comme les autres coureurs, donc je n'ai pas peur de le dire : je suis dépendant des personnes qui m'accompagnent !
Un dernier briefing tous ensemble, puis vient rapidement l'heure de dîner, et enfin le moment d'aller se coucher (tôt).
Vendredi 20 août 2021
Le réveil sonne à 3h, mais même pas mal 😃 car j'ai super bien dormi. Courte nuit certes, mais bien dormi, c'est déjà un bon début !
Toute la troupe est déjà debout. Je les aperçois déjà tous avec le sourire malgré l'heure irréel pour prendre un petit déj ! Tout le monde à l'air content d'être là et de partir (enfin !) à l'abordage de Belledonne. Je ressens beaucoup de positivisme autour de moi. Ça me remplit de bonheur et ça me met dans d'excellentes dispositions ...
30' avant le départ.
Je pars à l'échauffement, histoire de... car ce ne sont pas les kilomètres qui vont manquer aujourd'hui pour être chaud, mais par principe j'aime bien me dégourdir les jambes quelques minutes avant le départ pour ne pas démarrer complètement à froid.
Au bout de quelques foulées, je me rends compte que j'ai des jambes de ouf ! Je ne sens même pas le sol. Alors je n'insiste pas, je fais rapidement demi-tour, inutile d'insister, l'échauffement aura duré 5'. LOL !
[ VIZILLE à R1-ARSELLES > 16.7 km / 1560 D+ / 227 D- 59e en 2h23' ]
Les premiers kilomètres défilent assez vite. Encore une fois, et je ne peux décidément pas m'empêcher de faire éternellement le même constat : qu'est-ce que ça part vite !?! Je suis abasourdi par la vitesse de certains coureurs et de leurs ventilations après à peine 1 ou 2 km. On dirait que l'organisation n'a pas distribué le même roadbook à tout le monde !? Bref. On fera les comptes à l'arrivée !
Moi, depuis le 1er mètre je me suis réfugié dans ma bulle. Aussi longtemps que cela puisse tenir, plus rien ne comptera hormis mes sensations à l'instant T.
J'ai énormément travaillé cette notion à l'entraînement, le fameux "ICI & MAINTENANT". Sur le papier ça fait joli, mais savoir ou arriver à le pratiquer est une toute autre histoire.
Quand on part sur des distances aussi longues, avec l'expérience, je pense que nous ne pouvons pas nous permettre d'être ailleurs ou de penser à autre chose qu'à nos pas, notre respiration, notre alimentation, etc ...
Cette section, quasi entièrement dans la nuit pour moi, ne me semble pas très intéressante. Nous évoluons beaucoup dans les bois, donc nous n'avons pas beaucoup de vue. Les sensations sont cohérentes avec celles ressenties à l'échauffement. Je suis calme, serein. J'avance ...
[ R1-ARSELLES à R2-REFUGE DE LA PRA > 11 km / 920 D+ / 400 D- 55e en 4h22' ]
A Arselles, je retrouve mon assistance. J'essaie d'en profiter car je ne les reverrai plus pendant environ une dizaine d'heure. En effet, la montagne ne permettant pas l'accès à toutes les zones de ravitaillement (hormis en hélicoptère) ça sera une longue section sauvage, à faire seul, en immersion complète dans la nature.
Je remercie l'organisation de nous faire vivre ce genre d'aventure car L'ULTRA, comme ici, doit garder des sections d'autonomie quasi complètes, et tendre à mon avis, vers le moins d'assistanat possible. On parle des fondements de notre discipline, ce pourquoi nous sommes en partie ici, et on se doit de le préserver.
Donc je me ravitaille beaucoup - MIAM 😋 - auprès de Valentin et me charge copieusement les poches 🤣 pour ne pas mourir de faim sur le parcours ...
Ensuite, je repars pour une immersion absolument grandiose dans Belledonne.
Voilà le décor la section à venir :
Lac Achard> Col de l'infernet > Col de la Botte > Col des Lessines > lacs Roberts > Lac léma ............
Pfiou ... autant vous dire que j'en ai pris plein les yeux !
La trace est devenue progressivement un peu plus technique. On court de moins en moins car le terrain ne s'y prête parfois plus trop. Il faut commencer à lever les genoux. Ca serpente pas mal entre les roches. On rentre dans le vif du sujet. Honnêtement, j'adore.
Le jour se lève avec un ciel bleu et sans aucun nuage. Le soleil sera au RDV et sans excès de température. Ca promet une magnifique journée ... Quel pied !
[ R2-REFUGE DE LA PRA à R3-REFUGE JEAN COLLET > 10.5 km / 840 D+ / 1056 D- ]
Sans aucun doute la partie la plus technique mais aussi la plus belle de cette traversée avec tout d'abord un passage aux lacs du Doménon. Ce lieu est véritablement de toute beauté. Et bien que je sois concentré en permanence sur mon effort, je ne peux m'empêcher de lever la tête pour admirer le spectacle. Sensible me direz-vous (!?), je suis littéralement touché par ce que je vois.
Le temps avance, et la magnifique météo est synonyme d'ascension à la croix de Belledonne. En effet, l'organisation se réserve tous les ans, selon les conditions, le choix d'y monter (ou pas!). Il s'agit d'un énorme tas de gros cailloux qui monte à 2926 m d'altitude. Une véritable bavante.
Au pied de cette ascension, je rejoins un coureur (Thibaud Clipet) qui m'explique n'être jamais arrivé à bout de cette échappée malgré ces 5 tentatives, oups ! Il est un excellent guide sur cette montée à la Croix de Belledonne et me conseille judicieusement sur certaines trajectoires.
Nous arrivons au sommet ensemble. Symboliquement, nous devons toucher la Croix pour être badger avant de redescendre un moment par le même itinéraire, puis bifurquer sur les Roches Rouges pour monter au col de Freydane.
A mi pente, je me retourne mais je ne l'aperçois plus. Il me semblait aussi avoir bien descendu cette section. J'espère le revoir plus tard car il était sympa.
La descente sur le lac Blanc "combat" dans la même catégorie que tout ce qui précéde. Mais je ne cache pas être content d'apercevoir le refuge Jean Collet afin de pouvoir re remplir mes flask. La chaleur commence légèrement à pointer le bout de son nez ...
[ R3-REFUGE JEAN COLLET à R4-HABERT D'AIGUEBELLE > 9 km / 740 D+ / 950 D- 29e en 08h48' ]
Cette section passe assez bien, ce qui est plutôt bon signe ! Je respecte mes allures, et je ne force pas du tout mon rythme. Je reste convaincu que plus j'arriverais frais à la 1ère base de vie, mieux ce sera.
C'est une belle ascension qui nous emmène au col de la mine de fer. Le terrain est particulièrement minéral. Et la pente se fait très raide sur le sommet, je pousse fort sur mes bâtons pour économiser au maximum mes jambes. Sur ce passage, je double la championne espagnole Silvia Trigeros Garrote qui semble momentanément en difficulté. Quoi qu'il en soit, elle n'est pas grande (en taille) mais formidablement talentueuse. Elle ne lâche rien !
Quand je bascule pour entamer la descente, je constate encore une fois que je distance mes concurrents direct (sans le vouloir !) avec une certaine facilité. C'est, je pense, ici que je commence à prendre pleinement conscience que mes sensations sont (très) bonnes aujourd'hui, et ceci depuis le départ.
Courir avec le frein à main ne me ressemble pas trop, mais ces sensations-là, précisément à cet instant de course, me donnent beaucoup de confiance. Alors je me répète sans cesse "ne sois pas con, anticipe, anticipe, ... !". Ça va le faire !
L'enchaînement avec la Brêche Fendue est encore une fois extrêmement belle. Ça fait peut-être un peu redondant mais quand la montagne est aussi majestueuse, on ne peut s'empêcher de le dire.
[ R4-HABERT D'AIGUEBELLE à R5-BASE DE VIE DE PLEYNET > 17 km / 1230 D+ / 1520 D- 22e en 12h21' ]
L'enchaînement col de l'Aigleton & col de la vache est très difficile. Je trouve ce dernier col rugueux, engagé, et je dois m'employer pour essayer de ne pas trop faire baisser mon allure. Ce sont des gros blocs de roches qui partent du bas de la combe jusqu'en haut. Jamais une seule fois on pose les pieds au sol. Il faut passer de bloc en bloc, et jouer les équilibristes m'amuse beaucoup. Malgré la difficulté, et la pente sévère, je prends du plaisir. Beaucoup de plaisir ! Et la clé semble être ici. Je ne subis pas malgré les difficultés. En fait, je me sens à ma place. A cet instant, je ne voudrais être nulle part ailleurs qu'ici en train de monter ce col de la Vache dans le massif de Belledonne, et ça c'est le pied !
Au sommet, le contact avec les bénévoles est une nouvellement fois chaleureux. Je rattrape également 2 coureurs juste au moment de basculer dans la descente. Quelle n'est pas ma surprise quand je les vois plonger sur le névé droit devant alors que les fanions partent à gauche, en traversée, sous la paroi rocheuse. Ne sachant pas trop ce qu'ils sont en train de faire, je garde la trace officielle. Ils gagnent un temps fou sur moi car le névé les emmène directement en bas de la combe, pendant que je dois slalomer entre les pierres. Sur le coup, je suis fortement mécontent de ces attitudes. Couper un virage, tout le monde l'a déjà fait. Gratter un quart d'heure en coupant au plus court, c'est déjà moins glorieux. Je peste. Cette situation m'énerve. Je me démène dans la montée du Col de la Vache pour les rattraper, et en un coup pas du tout magique celui-là, les voilà qu'ils me prennent du temps d'une sale façon. Je descends au Lac du Cos, je rumine toujours. Puis au niveau des 7 Laux ..... je laisse (enfin !!) couler. Je me reconcentre et ne les laisse pas perturber mon aventure. On fera les comptes à la fin !
A hauteur du chalet du Gleyzin, je les rattrape. Évidemment, pas un mot n'est échangé. Je file seul dans la longue (et interminable) descente retrouver mon assistance à la base de vie du PLEYNET, ... enfin ... pas tout de suite.
[ R5-BASE DE VIE DE PLEYNET à R6-GLEYZIN > 16,5 km / 1150 D+ / 1497 D- 19e en 15h32' ]
Quand j'arrive à la base de vie du PLEYNET, j'ai environ 45' d'avance sur mes temps de passages prévisionnels. Et mon assistance n'est pas là quand j'arrive. Oh punaise ! Un coup de téléphone et tout le monde débarque en courant. Ce n'est pas de leur faute puisque l'application Livetrail ne leur indiquait pas du tout ces informations. Sur les SmartPhone, mon heure théorique était prévue beaucoup plus tard, personne ne se faisait donc de souci.
Peu importe, ce sont les aléas du direct. Mon équipe s'adapte comme elle peut en s'affairant autour de moi. Je change de vêtements, de chaussures, prends ce que j'ai à prendre, et ne traîne pas ici ...
Ce ravito et ces retrouvailles ne se sont pas du tout passés comme je l'avais imaginé, un peu déçu, mais c'est comme ça.
Mon ami Stéphane décide de m'accompagner sur cette prochaine section. Lui est d'ici, et connaît parfaitement bien le terrain (et la population 😀). A chaque croisement, j'entends : "Salut Stéphane ?" "Comment ça va Stéphane ?" ... N'aurait-il pas été facteur dans une autre vie ? Ah non, juste Trailer !
Ça fait un bien fou d'être avec quelqu'un que l'on connaît. Je viens de passer plusieurs heures tout seul dans la montagne, et je trouve ce moment assez sympa. C'est la première fois que j'ai un PACER. Méthode très utilisée aux USA et qui se démocratise de plus en plus en Europe. Je me focalise sur sa foulée, il avance super bien. Je ne réfléchis pas, je suis ses pieds, et on avance. Un vrai GPS ce Stéphane.
Les premières pentes de la montée vers la Grande Valloire sont très raides. Je dois m'employer sérieusement pour rester dans les pas de Stéphane, et je vois bien qu'on prend rapidement du dénivelé. Ce qui nous conduit ensuite au chalet de la Petite Valloire. L'ambiance ici est extra. Encore une fois, nous sommes accueillis comme des rois !
Le passage au Lac et Chalet de Léat est spectaculaire. La luminosité de la journée commence à changer, et cela donne une ambiance de soirée toute particulière. On fait ce sport aussi pour vivre des moments comme celui-ci. C'est grandiose !
Puis on rejoint le ravitaillement des Gleyzins par une longue descente sous les bois, rendue assez technique par la présence des racines.
[ R6-GLEYZIN à R7-PERIOULE > 10 km / 1390 D+ / 682 D- 14e en 18h29' ]
Je suis sincèrement ravi de revoir mon assistance. Leur présence me fait du bien. Le "couac" à la base de vie du PLEYNET ne m'a pas permis de me ravitailler comme il faut, et depuis quelques kilomètres j'ai la tête qui commence à tourner.
Je me pose aux côtés de Valentin, et je prends le temps de manger suffisamment pour recharger les batteries. Je sais que la portion qui suit est redoutée de tous les participants, sans aucune exception !
En effet, c'est désormais le col du MORETAN qui nous tend ses bras. Un des passages mythiques de cette traversée.
Il est 20h30', je suis assis sur le banc et j'aperçois le soleil (se coucher) qui commence à rougir le col. On dirait l'œil de Sauron. C'est un mélange entre la peur et l'admiration !
J'écoute les consignes de mon assistance et je décide de ne pas traîner ici. J'ai des bonnes jambes jusqu'à maintenant, et j'espère continuer sur ce rythme-là encore un bon moment.
Quand je me remets en route, je suis sincèrement fier d'entamer cette section de jour. Ce n'est tellement pas donné à tout le monde que je savoure pleinement la chance que j'ai. Je savoure chaque instant, chaque moment, chaque foulée, ...
Stéphane se positionne devant moi. Les premières pentes du Morétan sont assez accessibles. Ça vironne dans les bois. Puis progressivement, le terrain devient de plus en plus technique et la pente se durcit considérablement.
J'ai le feu au derrière. Je mets la pression à Stéphane en le suivant de très près. Il mène déjà un bon train (!) dans cette ascension. Mais j'ai quand même l'impression que mon PACER est en train de craquer. Je voudrais que ça avance plus vite encore. Bon signe pour moi, mais je me sens embêté par cette situation car je n'ai pas du tout envie de le laisser là tout seul dans la "pampa".
Arrivé au refuge de l'Oule, cette fois-ci frontales vissés sur le front, il est déçu quand il décide d'arrêter là. Je ne lui en veux pas du tout. Je compatis. Mais je ne peux pas me permettre de rester plus longtemps ici avec lui, car il est en train de se jouer un mano à mano avec deux autres coureurs, et le train ne passe qu'une seule fois dans le Morétan !
Je me retrouve dans les pas de Thierry BOCHET, un coureur rustique et talentueux du Beaufortain. Berger de profession, la montagne et l'pentu, il connait !
Je ne demande pas mon reste, et j'essaie humblement de suivre son rythme stratosphérique. On discute un peu, on fait connaissance, ce qui fait oublier la difficulté du moment, mais je décide assez rapidement de le laisser partir pour ne pas me griller les ailes.
Depuis le sommet du Col de Morétan, on entend les (fidèles) bénévoles mettre une énorme ambiance. Mais quand je dis énorme, c'est énorme ! Les cris et les chants résonnent dans la combe toute entière. C'est une ambiance tour de France en mode nocturne à 2600m d'altitude ! Tous ces encouragements me donnent chaud au cœur.
Je vis une grimpée assez difficile. Il y a quelques passages très durs. Pas vraiment que j'ai un coup de moins bien, mais ici, c'est la montagne qui impose sa loi !
Et puis, on ne va pas se cacher, le poids des kilomètres commencent aussi à peser. De plus, l'arrivée de la nuit est toujours un moment délicat à gérer.
Les pentes sur le final du col sont tellement difficiles que je suis obligé parfois d'y mettre les mains pour me hisser ...
Puis au prix de quelques belles transpirées, j'arrive enfin là-haut au contact des bénévoles et l'un d'entre eux me dit : "Au Morétan tu deviens GRAND !!". Sur le coup, je veux bien le croire 😂. Mon Dieu, quelle bavante !!!
Ce col entretient bien sa légende. C'est sans aucun doute, pour moi, le passage le plus compliqué depuis le départ à Vizille. Je peux dire (avec du recul) que j'ai laissé un peu de moi là-haut sur cette traversée.
Je bascule dans la descente, et comme le racontent tous les récits, je retrouve la main courante qui descend environ 300 D- sur un névé légendaire, fidèle au poste. Je m'accroche aux cordes et glisse pendant quelques longues minutes. A ce rythme là, j'en suis presque à avoir les oreilles qui se bouchent tellement on perd vite de l'altitude. LOL.
Un des favoris de l'épreuve, le portugais David QUELHAS, que j'ai doublé dans le final du Morétan, revient comme une bombe sur moi. Je suis honnêtement impressionné par sa vitesse en descente. Je me dis alors qu'il va me dépasser, mais non, il reste sagement derrière moi. J'essaie d'échanger quelques mots avec ce coureur mais il coupe court en me faisant comprendre qu'il ne comprend pas un mot de Français. Je pense qu'il a mis la pression dans la descente pour me rejoindre rapidement et ainsi ne pas courir seul dans la nuit.
Après la partie la plus engagée, nous retrouvons une partie plane / descendante plus accessible le long du lac de Morétan, avant de rejoindre, perdu au milieu de nulle part, la zone de ravitaillement de Périoule.
[ R7-PERIOULE à R8-SUPER COLLET BASE DE VIE > 9.5 km / 670 D+ / 934 D- 11e en 20h37' ]
Périoule c'est le ravito avec boule à facette, lumières de boîte de nuit, bref grosse ambiance. Gros décalage avec tout ce qu'on vient de vivre jusqu'à maintenant. Surréaliste mais hyper sympa !!!
Je repars de cet endroit chaleureux avec la pleine lune dans le dos. Elle éclaire impeccablement bien le sentier. Le ciel étoilé et la lune donnent une atmosphère très particulière à la montagne. J'adore courir de nuit.
Je rattrape assez vite Thierry BOCHET qui m'avait pris quelques longueurs à la sortie de Périoule. A peine revenu sur lui que Thierry se prend deux (belles) grosses gamelles. Dont la 2e où je l'aide à se relever et croyant qu'il fallait que j'appelle les secours. Il m'a fait peur le bougre ! Plus de peur que de mal. Du coup, je lui propose de me positionner devant lui, d'ouvrir la voie, et c'est là qu'il m'indique qu'il se sent mieux dans les montées (ça c'est sur je m'en suis aperçu dans le Morétan) et qu'il galérait un peu en descente.
On rattrape sans forcer encore quelques coureurs. Jusqu'à ce que la pente se durcisse de nouveau. Thierry repasse en tête, et me dit: "je vais remettre un peu de rythme, je ne veux pas que le concurrent de derrière nous reprenne". Il est passé, et je ne l'ai plus jamais revu de la course .... LOL.
La montée de la Pierre Carrée est raide, très raide. Ça monte droit dans l' pentu. Je pousse fort sur les bâtons. Le fait que Thierry me décroche aussi facilement me contrarie un peu, mais il a l'air tellement à l'aise en bosse que j'essaie de ne pas faire mûrir de mauvaises pensées en moi. Au contraire, je me recentre sur moi-même, et continue mon bonhomme de chemin en essayant de ne pas me soucier de qui que ce soit. C'est une stratégie payante !
Tout ceci m'amène tranquillement à la seconde base de vie au SUPER COLLET où je retrouve mon assistance dans un courant d'air glacial à 01h40' du matin.
Je m'assois auprès d'eux, et je fais part à Valentin que je n'arrive plus trop à mâcher les aliments. Phénomène très courant en ULTRA au bout de plusieurs heures d'effort. Il paraît logique que plus tard cela arrive mieux s'est !
À partir de maintenant, nous devons nous adapter en termes de stratégie nutritionnelle pour continuer à apporter de l'énergie régulièrement et limiter la casse au maximum. Je ne cache pas qu'à ce moment-là, je me fais un peu de soucis à ce sujet. Je mange donc difficilement tout ce qui est possible, et je repars du SUPER COLLET auprès de Guillaume (assistance) qui accepte de faire cette prochaine section à mes côtés. Il me sera d'une (très) grande aide dans la nuit ...
[ R8-SUPER COLLET BASE DE VIE à R9-VAL PELOUSE > 17.5 km / 1530 D+ / 1550 D- 10e en 25h24' ]
Pour moi, avec la fatigue accumulée depuis le départ, c'est la plus difficile section. Dans la nuit, malgré une stratégie nutritionnelle très au point, je ne peux être plus fort que la nature. En effet, je commence à manquer progressivement de vigilance. Mon corps a tendance a vouloir s'endormir. C'est de la pure chronobiologie. Beaucoup de recherches d'ailleurs sont à jour sur ce sujet. Nous sommes fait comme ça, il faut l'accepter. On ne peut pas aller à l'encontre de ce besoin naturel de sommeil. C'est une sensation étrange. Un peu comme quand on est au volant de sa voiture, et que l'on sent que l'on ne peut (presque) pas lutter.
Je suis attentivement Guillaume qui m'ouvre impeccablement le sentier. Cette partie est humide et il est facile de glisser sur des racines, des feuilles ou autres rochers détrempés. La première partie est descendante, comme le calme avant la tempête.
Tout en courant, je regarde ma montre, il est approximativement 3h30 du matin et je m'exclame comme une évidence : "Faut être sacrément passionné pour courir dans la montagne à cette heure-ci !". Guillaume rigole et confirme.
Nous voilà au Chalet de la Balme, au pied de la grande difficulté vers la montée au Refuge des Férices. Pfiou ! Qu'est ce que j'ai mal aux jambes. Je sens bien que je suis dans un moment faible. Mais l'ULTRA c'est ça. Des hauts, des bas, des moments d'euphorie, de la gestion ... Je dois donc gérer au mieux ce moment plus délicat. Je pousse aussi fort que je puisse le faire sur mes bâtons. Guillaume m'encourage régulièrement.
Comme un soulagement, je pointe au Refuge des Férices en pensant que le plus difficile était passé. Que nenni ! Avec la nuit et la fatigue, les impressions et les sensations sont tronquées. Il nous reste encore toute la traversée à flanc de montagne avant de continuer à grimper au Col d'Arpingon. Et ce n'est pas une mince affaire !
Là, je suis considérablement dans le dur. La pente est extrêmement raide. Je subis pleinement et le mental vacille. En tout cas, je sors de ma zone de confort sur cette section, et je sais qu'un potentiel bon résultat passe par des moments comme ça ... Cette ascension n'en finit plus. Et c'est comme un miracle, au bout d'un effort assez intense, que nous apercevons les deux bénévoles au col qui nous pointent. L'un d'eux nous dit que l'on a fait le plus dur, et "que le reste est roulant !". Pour moi, les mots Belledonne et roulant sont incompatibles.
La descente, tout d'abord technique dans les gros cailloux, puis sensiblement plus accessible, nous amène à VAL PELOUSE.
Pas de surhomme, j'arrive mal en point. Le jour se lève, et le soleil va me faire le plus grand bien ! Il est temps de se réveiller et finir cette belle histoire une bonne fois pour toute 😉
Les mots hypers réconfortants de Valentin et de mon papa me font du bien ... je repars seul (Guillaume ayant terminé sa belle mission) (re)gonflés à bloc!
[ R9-VAL PELOUSE à R10-LE PONTET > 17.5 km / 840 D+ / 1686 D- 9e en 28h50' ]
Je monte sur les crêtes du Col de la Perrière. Le soleil du matin me fait énormément de bien. J'ai l'impression de revivre. De plus, ce petit courant d'air frais me réveille, et malgré que les jambes se durcissent sévèrement j'ai l'impression de commencer une autre course. C'est plein d'espoir et je positive toujours au maximum. Des fois, je me demande moi-même où j'arrive à trouver ses ressources mentales, mais je crois que c'est en moi, enfoui quelque part.
Les bénévoles au Col de la Perche sont d'une sympathie inouïe. Ils me proposent un café/thé, mais c'est partie remise. Un bref échange sur le reste du parcours que je suis déjà reparti en direction du col d'Arbarétan.
Cette succession de bosses plus ou moins raides, cette fois-ci sur un terrain souple presque sans cailloux (alléluia !), m'amène jusqu'au sommet du Grand Chat. Un belvédère incroyable sur la vallée m'indique à peu près jusqu'où je dois redescendre.
Mes quadriceps hurlent de douleur. Le travail excentrique, sur un tel format, a aussi ses propres limites. Je sais dorénavant que dans toutes les descentes ça sera "sauve qui peut !" . Chaque pas est une souffrance. Je sers les dents ! Les kilomètres défilent pas assez vite à mon goût. Une centaine de mètres avant LE PONTET, je retrouve mon papa qui enquille dans ma foulée quelques mètres pour m'encourager.
Au ravitaillement, je ressens tout le soutien de ma TEAM. Je décide de ne pas m'arrêter. Je me dis qu'il faut en finir. Je récupère mes flasques. Je mange un peu le "fait maison" de Valentin, et je m'en vais !
Je sais que la prochaine fois que je les reverrai sera sous l'arche d'arrivée. A moi de jouer pour faire durer le suspens le moins longtemps possible !
[ R10-LE PONTET à R11-AIGUEBELLE > 12.9 km / 490 D+ / 1057 D- 9e en 30h55' ]
Qu'est ce que 490 D+ ? Pour un athlète entraîné, à vrai dire pas grand chose ! Mais 490 D+ au bout de 30h de course, même pour un athlète entraîné, c'est compliqué !
Je donne tout ce qu'il me reste dans les chaussettes. Mes jambes sont dures comme deux bouts de bois.
Une fois là-haut, je sais que ce ne sera plus que de la descente. Encore une fois, je sers les dents et me persuade que ça va vite passé. Faut pas se mentir, à ce moment-là de la course, celui qui nous dit qu'il prend du plaisir, soit il est fou, soit c'est un menteur !
J'arrive au Fort de MontGilbert, il en est donc fini de la montée pour cette traversée intégrale de Belledonne. Il s'agit désormais plus que d'une (très) longue descente qui va m'emmener jusqu'à AigueBelle.
Les muscles inférieurs me brûlent et se déchirent à chaque impact au sol. Je rentre dans un état de souffrance à peine descriptible. J'influence mon cerveau que je n'ai pas mal. Je me force à rester le plus fluide possible. Les quelques portions non techniques me font du bien car j'arrive à dérouler. Mais dès que la pente s'accentue, descendre devient un supplice.
Les kilomètres défilent.
Et puis ... Voilà que je me prends au jeu. Je regarde ma montre. J'estime approximativement mon heure d'arrivée. Et si j'arrivais à passer la ligne en dessous de 31h ? En voilà un beau dernier challenge. Tiens, ça va me passer le temps. La meilleure défense restera toujours l'attaque. Alors j'accélère. Je prends véritablement part au jeu. Plus je vois Aiguebelle se rapprocher, et plus j'y crois. Je me répète en boucle: "tu te rends compte, et si tu passais la ligne en dessous de 31h" . Le disque est rayé, je n'ai plus que ça en tête. Il est un peu moins de midi et le soleil tape désormais super fort. J'entends la voix du speaker se rapprocher de plus en plus.
Cette fois-ci, je tiens le bon bout. Je rentre dans le parc d'Aiguebelle synonyme de dernière ligne droite. Je savoure pleinement. Je ne sais pas trop ce que je suis en train de faire mais je sais en apercevant l'arche d'arrivée, que cela signifie la fin de cette belle aventure.
J'en finis à la 9e place au scratch et 3e M1 en 30h55'.
Je suis tout à fait honnête en disant que JAMAIS je n'ai imaginé franchir la ligne de cette intégrale de Belledonne avec un tel chrono. J'étais "juste" venu ici pour me faire plaisir. Profiter de la montagne et notamment de ce somptueux massif. Voyager. Me retrouver. Contrat rempli !
Pas un seul instant durant la course, je me suis demandé ce que je faisais ici ou si j'allais abandonner. Pas une seule fois.
Même avec la souffrance physique des dernières heures de course, je n'aurai échangé ma place avec quiconque. Je me suis senti à ma place, serein dans les montagnes. Moi qui n'avais jamais mis les pieds en Belledonne, j'aime l'idée de me dire que j'ai tout vu en une seule fois. Quelle belle traversée, quel beau challenge. En ULTRA, il y a un gros phénomène d'introspection, mais pas que ... On passe dans la même journée par des émotions très changeantes. On vient se découvrir à travers celles-ci. Personnellement, j'apprends toujours un peu plus sur moi après une telle épopée, cette fois-ci c'est encore le cas !
Ce sport est merveilleux. Certes il est dur, rugueux, souvent difficile... Mais il nous redonne tellement en échange.
Je tiens à remercier toutes les personnes qui m'ont soutenu de près ou de loin avant, pendant, et après cette ÉCHAPPÉE BELLE. Tous vos messages m'ont fait chaud au cœur. Votre soutien est immesurable !
Merci à l'organisation ! Soyez fier d'avoir mis sur pied une telle épreuve avec autant de valeur, avec autant d'authenticité. Il y a quelque chose de l'ordre du "merveilleux" ...
Je l'ai dit au micro pour l'ITW d'arrivée, mais encore une fois je remercie tous les BENEVOLES de cette ECHAPPEE BELLE. Vous avez tous été extraodinaires. Non pas que les bénévoles des autres courses sont moins bons, pas du tout (!), mais en Belledonne il transpire quelque chose de différent. J'ai ressenti énormément de bienveillance. Comme si il y avait une âme en plus ! Une culture propre à ce massif, BRAVO !!!!
J'ai, bien entendu, une pensée émue pour mes parents qui sont toujours là pour moi. Jamais je ne vous remercierai assez pour tout ce que vous me donnez. Le temps passe, on marque l'histoire à notre manière, car les écrits s'envolent (peut-être ?) mais les actes restent gravés à vie dans nos âmes !
Merci à Valentin pour son dévouement depuis plusieurs mois à mes côtés avec cette approche globale pour ma santé. J'ai l'impression que tous les deux, on réalise un travail de "haute couture" et je suis persuadé que ça va payer !
Merci à Stéphane et Guillaume pour le PACING, vous m'avez aidé dans des moments clés de la course, et je vous en suis grandement reconnaissant.
Ma plus grande satisfaction a tout simplement été de vivre un moment unique, un moment humain, plein de partage, des émotions fortes qui resteront à jamais gravés dans ma tête. Profiter du moment présent, le fameux "ici et maintenant". Pour que ces émotions et ces satisfactions se transforment en des histoires éternelles ...